De nos jours, lorsque l’on recherche ou que l’on pense tout simplement au terme « d’interopérabilité », notre réflexe, sans doute dû à l’ère numérique dans laquelle nous vivons, est de nous tourner vers les moyens de communication à notre disposition. Toutefois, ces moyens de communication sont presque sans intérêt si l’on ne sait pas, ou si l’on ne veut pas communiquer les uns avec les autres.
Se pose alors la question suivante : comment pouvons-nous devenir opérationnellement interopérables ? Eh bien, pour certains d’entre nous dont la génération s’apparente à celle des dinosaures à ce sujet, il est sans doute déjà trop tard. Il convient donc de se focaliser sur les générations actuelles et futures d’intervenants chargés de gérer les situations d’urgence. Et ce sont ceux d’entre nous convaincus que l’on peut aller de l’avant, malgré les nombreuses années passées dans la profession, qui devraient livrer la réponse à cette question. Nous avons été témoins d’erreurs répétées à maintes reprises : il est à présent temps pour nous d’agir pour y remédier. Comme l’a un jour dit Winston Churchill : « le succès c’est d’aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme » (Churchill Central, 2016).
Il se peut que beaucoup d’entre vous déplorent que je sois uniquement focalisé sur la phase d’intervention. Vous pourriez argumenter que ce n’est pas le seul aspect de la gestion des situations d’urgence qui doit être pris en compte. Et vous avez absolument raison, ce n’est pas le seul. Cependant, envisagez le problème ainsi : malgré tous les efforts que nous avons faits pour les prévenir, les réduire et y faire face, les situations d’urgence, de crise ou les catastrophes continuent et n’auront de cesse de se produire. Et lorsque c’est le cas, si vous n’êtes pas en mesure d’intervenir de manière adéquate, alors les efforts que vous avez à fournir sont d’autant plus importants. C’est en cela que votre capacité d’intervention est purement et simplement primordiale si vous voulez gérer efficacement situations d’urgences et catastrophes.
Mais alors, par où commencer ? D’après moi, il faut commencer par le commencement, c’est-à-dire avec ceux qui envisagent actuellement de faire carrière dans les secours et la gestion des situations d’urgence. Une fois que la digue aura cédé, que la tornade se sera abattue ou que l’incendie de forêt aura gagné du terrain, il sera trop tard pour commencer à travailler ensemble. C’est dans ces moments-là que les plans que vous avez préalablement mis en place doivent commencer à prendre forme. Il n’y a donc pas de meilleur moment pour s’y mettre que maintenant, où que vous soyez et qui que vous soyez. Si cela n’a pas été fait auparavant, alors faites-le tout simplement. Tendez la main et entamez le dialogue. Ne tombez pas dans le piège de la peur de l’inconnu car, comme ma femme aime le dire : si vous faites ce que vous avez toujours fait, vous obtiendrez ce que vous avez toujours obtenu. Le changement amène le progrès et le progrès amène le changement.
En tant qu’individus opérationnels, nous avons tous plus ou moins une personnalité de type A et nous avons tendance à cacher notre jeu. Il nous faut apprendre à montrer nos cartes et à ne plus garder nos atouts en réserve. C’est vrai qu’ils nous permettent un coup de maître de temps à autre, mais, dans la plupart des cas, nous n’avons jamais l’occasion de les sortir.
De nombreux Instituts de Formation Supérieure se trouvant en Ontario et au Canada, proposent des programmes formant aux trois corps de métier des secours, pour devenir policier, pompier et ambulancier. Être formé dans les trois disciplines n’est pas un prérequis pour la plupart des organismes d’intervention, mais il faudrait peut-être que ce soit le cas. Cependant, pour tirer parti de ces formations, les établissements de l’enseignement supérieur où de tels programmes sont proposés doivent s’entendre sur des normes pour ces programmes, mais aussi au niveau du système éducatif dans une plus large mesure.
Bien qu’il soit parfaitement compréhensible que les organismes d’intervention ne soient pas identiques d’une région à une autre, ou à travers le pays, un modèle de formation de base est nécessaire. Même si les policiers, les ambulanciers et les pompiers sont complètement différents, comprendre de manière élémentaire et simple comment chacun de nous fonctionne doit faire partie de ce modèle de formation de base. Au cours de ma maîtrise, toutes les personnes que j’ai interrogées et tous les groupes de discussion que j’ai encadrés ont identifié des aspects de leur formation, ou l’absence de ces aspects, comme étant d’une importance capitale pour la réussite ou l’échec de l’interopérabilité et de la collaboration, et ce quel que soit le service dans lequel ils travaillaient. Nous devons commencer à former le plus tôt possible à l’interopérabilité. La période précédant l’entrée dans un Institut de Formation Supérieure, a été identifiée par beaucoup comme le moment opportun. Comme l’a décrit un ambulancier lors d’une entrevue, c’est à ce moment que « l’on développe un certain état d’esprit, que l’on place la barre haut et que l’on fait en sorte qu’elle y reste ». Le type de formation actuellement dispensé à ce niveau, bien qu’adapté aux besoins spécifiques de chaque organisme, n’aborde pas la question de l’interopérabilité ou de la collaboration. Et les participants ont expressément identifié ce manque comme un facteur freinant l’interopérabilité. Une personne interrogée a même indiqué qu’un instructeur ambulancier avait déclaré, lors d’une conférence à laquelle elle était présente, que les pompiers volontaires étaient tout bonnement des « singes brandissant une lance à eau » et qu’ils étaient à ignorer sur les lieux de l’intervention. L’instructeur a par ailleurs poursuivi en affirmant que ceux qui suivaient la formation aux techniques policières n’allaient « pas vraiment être flics de toute façon ». Ce type d’enseignement manque non seulement clairement de professionnalisme, mais il engendre exactement ce que l’interopérabilité et la collaboration ont vocation à briser : des fossés, de l’animosité, du ressentiment et de la désinformation, pour ne citer que quelques exemples.
Il faut donc qu’il existe une envie d’offrir une formation cohérente, qui devrait être une condition sine qua non pour rejoindre les rangs des organismes d’intervention d’urgence. J’ai été stupéfait pendant une partie de mes recherches d’apprendre que, contrairement aux policiers de la province d’Ontario qui doivent tous passer par le Collège de police de l’Ontario à Aylmer, les pompiers peuvent être intégralement formés par différents organismes, sans jamais se rendre au Collège des pompiers de l’Ontario à Gravenhurst. Les ambulanciers suivent quant à eux l’enseignement d’Instituts de Formation Supérieure, que ce soit pour l’apprentissage des soins paramédicaux de base ou avancés. Ce manque d’uniformité au niveau de la formation rudimentaire participe à l’élargissement continuel du fossé existant entre les différentes disciplines.
Il va de soi qu’il ne peut y avoir deux juridictions identiques, quelle que soit leur taille ou le lieu où elles se trouvent. Toutefois, peu importe la juridiction, personne n’a trouvé de meilleure solution pour lutter contre les incendies que d’utiliser de l’eau (et comment l’utiliser). Idem pour les menottes et les techniques pour les passer, ainsi que pour les méthodes d’intubation de patients gravement malades ou blessés : il n’y en a pas de meilleure ou de radicalement différente.
Une fois que nous aurons établi des modèles de base et que nous aurons une connaissance commune des procédures fondamentales de chaque spécialité, nous permettant d’engendrer compréhension et coopération entre nos différents corps de métier, alors nous pourrons retourner à nos propres organismes et apprendre les besoins opérationnels spécifiques à ces derniers. Toutefois, ceux-ci ne devraient JAMAIS remplacer ce que nous avons appris lors de notre formation initiale, mais au contraire le renforcer. De cette manière, lorsque nous luttons côte à côte, nous saurons ce que chacun d’entre nous peut et ne peut pas faire, nous aurons conscience de nos forces et surtout de nos faiblesses. Ce faisant, nous pourrons nous soutenir mutuellement et tendre vers notre objectif commun : faire diminuer le nombre de morts, de blessés et de dégâts matériels nécessitant notre intervention.